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Résumé

Balthusz Klossowski de Rola, dit Balthus, est né le 29 février 1908 à Paris. Il est le second fils d'Erich Klossowski (1875-1946), peintre et historien de l'art, et d'Else Dorothea Spiro (1886-1969), dite Baladine, peintre également. Son frère aîné est l'écrivain et dessinateur Pierre Klossowski (1905-2001).

Biographie complète

Prologue : ascendance et milieu

Else ou Elsa Spiro (dite Mouky), cadette de sa fratrie, a déjà perdu ses parents, juifs pratiquants, quand elle épouse Erich Klossowski le 8 octobre 1904 à Londres. La famille d’Erich est catholique polonaise du côté paternel mais son père Victor a dû se naturaliser prussien et protestant pour faire carrière de magistrat à Bunzlau puis Breslau (Empire allemand) où il décède en 1895. En 1904, Madame Klossowski mère, Prussienne née Doerk de Freval n’a pas été consultée ni même avertie du choix d’Erich d’épouser Else. Cette union de deux artistes bohèmes est décidée tout à fait à contre-courant de leurs milieux respectifs, dans l’amour et le seul culte des arts.
Les futurs parents de Balthus se sont donc connus à Breslau dans les milieux artistiques ; Else est élève dans l’école d’art dirigée par son frère, Eugen, et Erich est un jeune docteur en histoire de l’art, fondateur d’une revue et peintre à ses heures.
La famille paternelle, quand bien même Balthus rencontrera sa grand mère, ne joue pas un rôle aussi important que la famille maternelle. Cette dernière compte plusieurs couples d’artistes dans la fratrie. Un oncle de Balthus, frère d’Else, Eugen Spiro va faire une importante carrière de peintre à Berlin puis plus tard à New York, tandis qu’une de leurs sœurs, Gina, épouse elle aussi un peintre, Emil Trebicky. Ces deux familles Spiro/Trebicky vont successivement héberger les Klossowski de longs mois à Berlin pendant et après la Première Guerre mondiale.
Avant leur mariage déjà, Erich et Else s’établissent à Paris. Il arrive dès 1902, elle le rejoint deux ans plus tard. Ils fréquentent les artistes et intellectuels qui gravitent autour du Café du Dôme, épicentre de l’émigration allemande à Montparnasse, parmi eux Julius Meier-Graefe, Wilhelm Uhde, Harry Graf Kessler, Karl Hoffer, mais encore des Suisses tels l’écrivain Ramuz, le peintre Auberjonois ou le collectionneur Otto Ackermann, qui sera parrain de Balthus, sans oublier plusieurs peintres français dont Pierre Bonnard. Erich comme Else exposent alors régulièrement à Paris, au Salon des Indépendants mais aussi plus tard en Allemagne, notamment à la Berliner Secession, ainsi que dans la galerie Alfred Flechtheim. Erich écrit aussi plusieurs livres, dont une monographie sur Daumier et une autre sur les peintres de Montmartre.

Enfance entre Paris, Berlin et la Suisse (1908-1924)

Balthus naît à Paris le 29 février 1908. Il a un frère, Pierre, de trois ans son aîné. Les deux enfants grandissent dans la société et l’émulation artistique décrite ci-dessus. Par le droit du sol, ils sont Français. Ils n’ont pas dix ans lorsque la Grande Guerre éclate. Ils quittent la France avec leurs parents puisque ces derniers sont chassés, à cause de leur passeport allemand. Après un bref séjour en Suisse, à Zurich, ils rejoignent Berlin où ils habitent avec la famille de leur oncle Eugène Spiro. A Berlin, Erich travaille comme décorateur de théâtre pour le grand metteur en scène Victor Barnovsky. Dès 1917, la famille est de retour en Suisse, à Berne, puis Genève, avec un passage par Beatenberg, où Balthus reviendra souvent. Les parents continuent de fréquenter une société artistique internationale constituée d’Allemands ou de Français, de passage en Suisse mais aussi d’artistes locaux, tels le chef d’orchestre Ernest Ansermet, qui les héberge un temps, ou le peintre René Auberjonois. Après la Guerre, Erich travaillera de plus en plus à Munich à des décors de théâtre. On peut considérer que les parents de Balthus vivent alors séparés, mais leurs rapports demeurent très amicaux jusqu’à leur mort et ils ne divorceront pas. Dès 1920, Else devient « Merline », la muse et la compagne du poète Rainer Maria Rilke. Leur relation est surtout épistolaire et constituée de brèves périodes ensemble, jusqu’à la mort de Rilke en 1926. Les enfants qui restent avec leur mère à Genève, font également de longs séjours chez leur père à Munich ou dans leur famille à Berlin. Rilke ouvre ses relations aux Klossowski et les recommande à Paris, notamment à André Gide qui prendra Pierre sous son aile. En outre, il encourage vivement Balthus à publier sa première série de dessins. Mitsou : Quarante images paraît en 1921, Balthus a treize ans, Rilke écrit la préface. Durant cette période et jusqu’à son adolescence, Balthus se trouve aussi des maîtres dans les artistes Margrit Bay à Beatenberg ou Lotte Pritzel à Munich, qui l’initie à la sculpture et à la fabrication de poupées. En 1923, il découvre l’Angleterre et une culture qui va le marquer durablement, par sa littérature notamment (Byron, Emily Brontë, Lewis Carroll). Dès 1924, Balthus fait des séjours en France, retrouve Paris, reçoit les conseils de Bonnard et réalise des copies au Louvre, mais il fait surtout à Berne la connaissance d’Antoinette de Watteville, soeur cadette d’un ami à lui, Robert. Il a seize ans, elle en a douze.

Jeunesse, premiers succès, correspondance amoureuse (1924-1937)

A l’âge de dix-huit ans, grâce au mécène zurichois, Jean Strohl, Balthus peut passer, en été 1926, plusieurs mois en Toscane, où il se familiarise avec l’art italien de la Renaissance et tout particulièrement Piero della Francesca. L’année suivante, il réalise son premier ouvrage public : les fresque de l’église du village de Beatenberg, aujourd’hui recouvertes. Il est dans ces années-là souvent à Paris, Berlin ou Zurich. C’est dans cette ville qu’il expose pour la première fois, avec deux autres artistes, à la galerie Forter en septembre 1929. Il tombe amoureux l’année suivante d’Antoinette avec qui il échangera de nombreuses lettres. Il passe l’année 1931, sa vingt-troisième année, à effectuer son service militaire au Maroc dans l’armée française.
En 1932, il vit entre Paris et Berne, où il copie le petit maître suisse Josef Reinhard au Kunstmuseum. En 1933, il loue son premier grand atelier à Paris, voisin de celui où travaillait Delacroix, rue de Furstemberg. Il fait la connaissance de Derain, Giacometti, Artaud, Jouve qui deviennent des proches. Uhde, ami de la famille, lui présente le galeriste Pierre Loeb qui lui organise en avril 1934 sa première exposition personnelle. Il obtient un succès de scandale, quelques bons articles, mais ne vend rien. Par dépit amoureux essentiellement (Antoinette est promise à un autre), il fait une tentative de suicide. En parallèle de portraits de commande, pour gagner sa vie, il fait des décors de théâtre, d’abord avec un proche de son père, Victor Barnowsky, qui présente Comme il vous plaira de Shakespeare à Paris, puis avec Artaud pour sa propre pièce Les Cenci. Ces événements contribuent à consolider sa réputation naissante parmi une élite artistique parisienne. Il fréquente d’aristocrates mécènes, comme Marie-Laure de Noailles ou Marguerite Caetani, princesse de Bassiano. Plusieurs portraits mondains lui donnent une certaine marge financière. En 1936, début mars, il expose pour la première fois à Londres ses dessins illustrant le roman d’Emily Brontë Wuthering Heights. L’année précédente, il en avait publié certains dans la revue Minotaure.

Mariage et enfants (1937-1947)

Le 2 avril 1937, Balthus épouse à Berne Antoinette de Watteville, le couple s’installe ensuite à Paris. Le plus grand tableau du peintre à cette date, La Rue, est acheté par l’Américain James Thrall Soby. Ces années le voient approfondir des relations avec le marchand Pierre Colle à Paris et Pierre Matisse à New York. Ce dernier organise la première exposition de Balthus dans sa galerie de New York en mars 1938 et il vend le Portrait de Miro au Museum of Modern Art. L’année suivante, Matisse l’expose une nouvelle fois en mars. Balthus est mobilisé au début de la Guerre, mais rentre à Paris en décembre ; il sera réformé pour mauvaise santé l’année suivante et s’installe avec Antoinette à Champrovent (Savoie). Les parents de Balthus ont obtenu la nationalité française juste avant la Guerre et ne sont pas inquiétés en tant qu’Allemands, Erich est établi à Sanary mais Baladine (le nom d’artiste d’Else qu’elle utilise exclusivement depuis les années 1920) a fui Paris en raison de ses origines juives et se cache en Gironde. Balthus et Antoinette s’installent en 1942 à Fribourg où naît leur premier fils, Stanislas. Quelques temps auparavant, à Paris, Picasso a acheté une grande toiles de Balthus à son marchand Pierre Colle : Les enfants Blanchard. En 1943, la galerie Moos de Genève consacre à Balthus une première exposition individuelle en Suisse. Le second fils du couple, Thadée, naît en 1944 à Berne. La famille s’installe en 1945 à la villa Diodati à Cologny, à côté de Genève. Balthus retrouve là des artistes fréquentés à Paris avant la Guerre, dont Giacometti. Il se lie là-bas également avec l’éditeur Albert Skira et l’écrivain André Malraux. Il organise une exposition de peinture française à Berne l’année suivante avec le soutien de l’ambassade de France, il y place un de ses tableaux. Avec la fin de la Guerre, la vie culturelle reprend à Paris et l’ancienne assistante de Pierre Loeb, Henriette Gomès, organise la deuxième grande exposition personnelle de Balthus à Paris en novembre 1946, à la galerie des Beaux-Arts, mise à disposition par son propriétaire, Georges Wildenstein. Balthus reprend sa vie à Paris mais sans sa famille, restée en Suisse. Un peu à l’exemple de celui des parents de Balthus, le couple ne se déchirera pas et les deux époux, très amis, se retrouvent pour les fêtes avec les enfants. Ils ne divorceront qu’une vingtaine d’années plus tard.

Années solitaires à Paris (1947-1953)

Dès la fin de 1947, il noue une relation discrète avec la fille de Georges Bataille, Laurence, qui a 17 ans. Cette dernière vit alors avec sa mère, la comédienne Sylvia Bataille et son nouveau compagnon, Jacques Lacan. Cette période voit Balthus accéder à une notoriété toujours plus grande, notamment à travers le théâtre, on le voit travailler à des costumes et décors, pour L’Etat de siège de Camus en 1948, au théâtre Marigny, pour Le peintre et son modèle, ballet de Boris Kochno, au théâtre des Champs Elysées en 1949, pour Cosi fan Tutte, l’opéra de Mozart, au festival d’Aix-en-Provence en 1950, pour L’Ile des chèvres de Ugo Betti, au théâtre des Noctambules en 1953. Laurence, qui vise une carrière de comédienne, joue dans cette dernière production. Balthus a des expositions individuelles à Paris chez Pierre Colle en 1948 et à New York chez Matisse en 1949. Le décès de son père Erich en 1949 provoque une crise personnelle importante. En janvier 1952, la Lefevre Gallery lui consacre sa première exposition personnelle à Londres.

Un château à la campagne : Chassy (1953-1961)

Durant l’été 1952, Balthus trouve un château dans la Nièvre, entre Autun et Avallon qu’il décide de louer et où il s’installe au printemps de l’année suivante. Les moyens lui en sont donnés par ses marchands, Henriette Gomès, Pierre Matisse et avec eux un collectif de collectionneurs, dont Maurice Rheims, Alix de Rotschild et Claude Hersent. Ils lui versent une pension en échange de ses derniers tableaux qu’ils répartissent entre eux. Le château est fort dégradé et Balthus y vit modestement dans un continuel chantier de remise en état. Il a pour lui tenir compagnie, l’aider à s’installer et assurer une présence quand il se rend à Paris la poétesse Léna Leclercq, rencontrée par l’intermédiaire de Giacometti. Cette dernière reste jusqu’au printemps 1955. Entre temps, Balthus a commencé une relation amoureuse avec sa nièce par alliance, Frédérique Tison, fille d’une précédente union de l’épouse de son frère Pierre. C’est à cette période et à Chassy qu’il peint Le Passage du commerce Saint-André, un tableau qui immortalise le coin de la rue où se situe son atelier et appartement parisien, à la Cour de Rohan, où il s’est installé dès 1935 et qu’il conservera comme pied-à-terre dans la capitale.
En mars 1956, Henriette Gomès l’expose à nouveau à Paris, tandis qu’en décembre de cette année, Balthus bénéficie de sa première exposition personnelle dans un musée au MoMa de New York. Il a quarante-huit ans. Sa situation financière s’améliore. Sa renommée devient internationale et un reportage lui est consacré dans le magazine Life en janvier 1957 pour lequel Loomis Dean est venu faire des photographies à Chassy. Les années 1950 se terminent par ses premières expositions dans des galeries en Italie, à Turin en mai et Rome en avril 1958, et un nouveau projet de théâtre, pour Jules César de Shakespeare au Théâtre de l’Odéon à Paris, en 1960. A partir de ces années-là Balthus cultive toujours davantage le mystère autour de sa vie, il refuse les détails biographiques dans les catalogues de ses expositions.

Un palais dans la cité : La villa Médicis (1961-1977)

A la fin de l’année 1960, André Malraux – nommé récemment ministre de la Culture et avec qui Balthus a entretenu un contact amical depuis 1946 – approche Balthus pour lui confier la direction de la Villa Médicis à Rome. Balthus accepte et entre en fonction en août 1961, non sans que sa nomination ait suscité beaucoup de remous puisqu’il n’appartient pas à l’Institut de France. Les quinze années qu’il passe là-bas vont être marquées par une rénovation complète de ce bâtiment historique, des fresques aux jardins en passant par le mobilier. Il aménage des salles qu’il destine à accueillir des expositions à la Villa qui sont révélatrices de ses influences ou de ses amitiés : Rodin (1967), Courbet (1969), Giacometti (1970), Bonnard (1971), Derain (1976). Pris par ses activités de représentation ou de restauration, il peint peu mais sa carrière de peintre connaît la consécration internationale. Il obtient des expositions muséales à Paris (Arts décoratifs : 1966), aux Etats-Unis (une exposition qui démarre au MoMa à New York va circuler dans six villes en 1966-1967), à Londres (Tate : 1968), à Marseille (Musée Cantini : 1973). Il fréquente de nombreux artistes italiens de tous horizons, parmi lesquels Federico Fellini ou Riccardo Muti, et il accueille à Rome des amis renommés qu’il connaît du temps où il était à Paris comme Francis Bacon.
Sa situation amoureuse change en 1962 après sa rencontre lors d’un voyage au Japon de Setsuko Ideta. Elle a dix-neuf ans et le suit à Rome. Il divorce d’Antoinette en 1966 pour épouser Setsuko en 1967. Elle lui donne deux enfants, Fumio, en 1968, qui ne vit que deux ans, et Harumi, née en 1973.
Balthus perd sa mère à cette époque : Baladine meurt en septembre 1969. Il fait l’acquisition en 1970 au nord de Rome, vers Viterbe, du château de Montecalvello.

Retour aux montagnes suisses : Rossinière (1977-2001)

Alors que son mandat à la Villa Médicis se termine, il s’éprend lors d’un séjour en Suisse d’un vieil hôtel du XVIIIe siècle à Rossinière, entre Gruyère et Gstaad. Il achète le « Grand Chalet » et, comme il l’a fait pour toutes ses demeures, il le rénove et le transforme pour lui redonner son éclat d’antan. Les dernières années de la vie de Balthus se caractérisent par une ouverture à la presse qui contraste avec le culte du mystère auquel il avait habitué sa vie durant. Il accepte les interviews (parfois initiées par des artistes célèbres de ses amis, tels David Bowie ou Richard Gere) ainsi que les séances photos ou les films. Il travaille ici durant les dernières années de sa vie. Sa faiblesse physique lui fait explorer de nouveaux moyens d’étudier ses modèles avant de les peindre : la pratique de la photographie (polaroïd) remplace le dessin.
En parallèle, la consécration internationale de son travail se poursuit. La Biennale de Venise l’expose en 1980, non pas dans un pavillon national, mais dans un palais : La Scuola Grande di San Giovanni. En 1991, on lui décerne le Praemium Imperiale, plus haute distinction japonaise, et internationale à l’image du Prix Nobel, pour les Arts. On lui consacre des expositions à Chicago (Museum of Contemporary Art : 1980), Paris (Centre Pompidou 1983-1984), New York (Metropolitan : 1984), Rome (Villa Médicis : 1990), Lausanne (MCBA : 1993) mais aussi Pékin, Hong Kong et Taïpeï (1995), puis Madrid (1996).
Sa plus importante rétrospective a lieu l’année de sa mort à Venise, au Palazzo Grassi (septembre 2001 à janvier 2002). Quelques temps avant sa mort, survenue en janvier 2001, Balthus crée une fondation pour s’occuper de son patrimoine. Cette fondation est transformée en 2017 en fonds d’archives Balthus. En 2019, le fonds sera déposé au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA).